Le rêve, territoire de l'ubiquité : entre fragmentation du moi et désir de totalité

Allongé dans les entrailles de la nuit, prisonnier du sommeil, le corps repose, quasi inerte. Mais l’esprit, lui, s’affranchit, s’élève, se faufile et se déploie dans les lieux et les époques, se pare de diverses identités. Le rêve est ce théâtre à décors infinis où l’espace se plie au gré des pulsions, où le temps se soumet à l’élan de l’inconscient. Le rêveur traverse les âges et les espaces sans transition apparente, porté par « le travail du rêve » avec ses mécanismes de condensation, de déplacement et de symbolisation identifiés par Freud. Le dormeur se voit tantôt enfant dans la maison familiale, tantôt adulte dans un endroit inconnu, tantôt acteur ou spectateur d’une scène particulière, souvent surprenante. Il est tout à la fois ici et ailleurs, maintenant et jadis. Ce phénomène, que la veille interdit, seul le rêve le permet. Il ne s’agit pas d’une illusion mais d’une expérience psychique réelle vécue avec intensité dans un registre allant de la légèreté à la dramaturgie. Le rêveur est simultanément dans plusieurs dimensions de lui-même. Il est à la fois celui qui rêve et celui qui est rêvé. Cette dissociation, loin d’être pathologique, révèle la plasticité du moi dans l’espace onirique.
L’ubiquité onirique est une manifestation de la liberté du sujet dans l’inconscient, qui s’exprime à sa façon, et aussi une modalité d’exploration de ses potentialités hors des contraintes de la réalité diurne.
Le rêve est le lieu où le moi se dissout pour se recomposer, où le temps, malléable, et l’espace, indéfini, deviennent miroir de l’âme. Il est le seul état où l’humain touche du doigt l’omniprésence.