
En vacances cet été dans la Manche, j’ai visité le magnifique jardin surplombant de la maison de Christian Dior à Granville. J’ai remarqué cette phrase de Gilles Clément, jardinier, sur un panonceau de la roseraie : « Pour faire un jardin, il faut un morceau de terre et l’éternité ».
Le jardin est un espace réel, un fragment de sol, une parcelle arrachée au chaos du monde, délimitée par l’homme pour y inscrire un ordre vivant. Mais ce lopin de terre n’est jamais insensible. Il est ensemencé d’histoire, de mémoires, d’espérances, de projections. Comme le terrain psychique du consultant, il s’offre à être labouré, écouté, entretenu, respecté. Le jardinier, comme le méditant et l’analyste, n’exigent rien : ils accompagnent, observent, attendent avec la patience sage du pêcheur.
Et il y a l’éternité. Une éternité traversée dans l’instant, dans la répétition tranquille des gestes, dans l’attention portée à ce qui pousse lentement. Le méditant le sait : chaque souffle est une porte vers l’infini. Le jardinier le sait aussi : chaque graine contient un monde. L’éternité n’est pas une durée, mais une qualité de présence.
Créer et entretenir un jardin, c’est entrer dans une temporalité particulière. C’est renoncer à la maîtrise, accepter les cycles, les saisons, les gains et les pertes. C’est faire confiance à ce qui dépasse notre volonté. Tirer sur les fanes d’une carotte ne permet pas d’hâter sa croissance. Comme en psychanalyse, où le travail s’inscrit dans le temps long, dans le jaillissement des paroles et l’écoute des silences, dans la germination invisible des mots.
Métaphore de l’âme, le jardin est un lieu de transformation, de lente alchimie, de beauté fragile et éphémère. Il nous invite à entendre et accepter l’impermanence, à accueillir, sans le saisir, ce qui vient. Epictète a subtilement écrit : « Ne demande pas que les choses arrivent comme tu le désires mais désire-les telles qu’elles arrivent et tu seras heureux. »
Et peut-être est-ce cela notre quête intime : un bout de terre pour y faire croître nos racines, et l’éternité pour y apprendre à fleurir.