Je ne me souviens plus, et peu importe, dans quel magasin de l’agglomération bordelaise j’ai vu ce gadget décoratif, un rectangle bleu en plastique semblable aux plaques émaillées de noms de rues, sur lequel est écrit : "On a tous été jeunes et cons mais il ne faut croire qu'en restant con, tu vas rester jeune".
Ce propos malicieux jette un pont entre l’expérience de l’erreur propre à la jeunesse et l’illusion que la persistance dans un état d’immaturité suspendrait le processus de vieillissement. La psychanalyse éclaire cette articulation entre pulsion, illusion et castration symbolique.
- La « connerie » comme moment structurant de la jeunesse
La jeunesse est une période de confrontation à l’effervescence des pulsions et des désirs, parfois sans médiation symbolique suffisante. L’ « être con » n’est pas ici une insulte mais une désignation de l’immaturité vectrice d’apprentissage, un état initiatique permettant au sujet d’éprouver les limites, de se heurter au réel, d’élaborer son identité. Cette « connerie » d’un temps particulier revêt une fonction nécessaire et structurante.
- L’illusion de la permanence par la répétition de l’immaturité
Rester « con » pour rester « jeune », cet espoir dans une cure de jouvence relève d’un mécanisme de défense face à l’angoisse du vieillir. Le sujet, pris dans les rets de la confusion entre immaturité et vitalité, refuse la castration symbolique qu’effectue le passage du temps. C’est une résistance au principe de réalité. Or, la répétition n’a pas ici de portée créatrice car elle fige le sujet dans une caricature de lui-même.
- Le rapport entre jeunesse et maturité
En respectant la temporalité du sujet, la fonction du symptôme et sa singularité, la psychanalyse ouvre la possibilité de traverser nos illusions pour accéder à un positionnement vis-à-vis de soi et des autres plus juste, plus élaboré et plus fécond. La maturité n’est pas un reniement de la jeunesse, mais une intégration des expériences dans lesquelles elle nous a entraîné. La jeunesse est inséparable de l’erreur, mais l’erreur n’est pas une promesse de jeunesse éternelle. La véritable jeunesse, au sens psychique, est celle qui sait se métamorphoser et se réinventer.
Le sujet qui croit pouvoir défier le temps en restant « con » se trompe doublement : il vieillit malgré lui, et il reste prisonnier d’une immaturité confrontée à la vitalité de la jeunesse. Cette si redoutée vieillesse à propos de laquelle je me souviens de cette phrase attribuée à Sainte-Beuve, faisant écho à la phrase à l’origine de cet article de blog : “Vieillir est encore le seul moyen qu’on ait trouvé de vivre longtemps ». Autrement dit, de ne pas mourir trop jeune.