"On n'est pas sourds, on n'est pas autistes" : maladresse ou symptôme d'un discours politique traversé par l'angoisse ?
Fraîchement nommé ministre du Travail et des Solidarités, le tout juste ex-président de la SNCF Jean-Pierre Farandou a déraillé lors de sa prestation inaugurale ès qualité lors du journal télévisé de 20h de France 2 du 20 octobre 2025.
Interrogé sur la suspension de la réforme des retraites, il déclara benoîtement : « On n'est pas sourds, on n’est pas autistes, on voit bien qu’elle passe mal, cette réforme ». Cette phrase qui souleva une indignation, en partie d'opportunité dans l'opposition, et pertinente dans les associations de défense et de respect des personnes en situation de handicap psychique (*), ouvre sur une lecture tant sur le plan sémantique que sur celui de l’inconscient politique qu’elle révèle.
D’un point de vue psychanalytique, ce mésusage récurrent du vocabulaire psychiatrique, fréquent dans le milieu politique et journalistique (par exemple l'emploi du mot "schizophrénie" pour souligner un paradoxe, un écartèlement), est rarement neutre. Employer le mot « autisme" pour signifier de l'aveuglement ou de la surdité, de l'enfermement ou de l'alexithymie, revient à affecter à un état neurodéveloppemental particulier une coloration péjorative, stigmatisante et erronée. L'autisme est un trouble du développement caractérisé par des anomalies dans le cadre des relations sociales et affectives, de la communication et du comportement. Il n’est pas un refus de voir ou d’entendre, mais une façon autre d’être au monde, de percevoir et de s'inscrire dans les interactions sociales.
Au-delà de la maladresse du propos, il y a symptôme. Car ce qui se dit là, c’est l’angoisse d’un supposé pouvoir politique confronté à la résistance du réel. Dire « on n’est pas autistes », c’est tenter de se rassurer : "on voit, on comprend, on écoute et on tient fermement le gouvernail." Cette déclaration traduit ou plutôt trahit l’inverse. Elle illustre une défense contre l’impossibilité d’entendre en vérité ce que le corps social exprime. Comme si le ministre, pris dans l’obligation de justifier une réforme impopulaire, de mentir pour l'équipe à laquelle il appartient (trois fois "on") et peut-être de se mentir, ne pouvait que forclore la parole de l’autre en la recouvrant d’un propos cliché. Elle révèle une défense contre l’angoisse de ne pas être entendu, de ne pas pouvoir convaincre. Et en fin de compte de ne pas maîtriser. C’est là que le psychanalyste perçoit un symptôme. Car lorsqu'il vacille, le langage du pouvoir se met à parler malgré lui. En cherchant à rassurer, il expose ses failles.
Il est d'autant plus troublant que cette phrase sorte de la bouche d’un homme rompu aux négociations, ancien dirigeant de la SNCF habitué aux conflits sociaux. Ironie mordante que de voir un ministre des Solidarités débuter sa mission par une parole qui divise.
(*) Le ministre a rapidement présenté ses excuses sur X