Philippe Saboulard
Psychanalyse à Bordeaux

Mots passants


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Il est de tradition à l’Académie française qu’un élu, dans le cadre du discours de réception qu’il prononce devant ses pairs, rende notamment hommage à la vie, à la pensée et à l’œuvre de celui dont il occupe désormais le fauteuil laissé vacant par sa mort.

Elu en 2014, l’écrivain, essayiste et philosophe Alain Finkielkraut, a pris place le 28 janvier 2016 au fauteuil 21 précédemment occupé par l’auteur dramatique, essayiste et romancier Félicien Marceau.

Dans son discours, Alain Finkielkraut cite son prédécesseur : « Chaque fois qu’on pose un mot sur une chose, c’est comme un veston qu’on accroche à une patère : la patère disparaît. » (Le Corps de mon ennemi, Gallimard, 1975). Ainsi donc le mot masque la réalité ou, pour reprendre la formulation très juste d’Alain Finkielkraut, opère un « recouvrement de la réalité par sa désignation ».

Comme le veston couvre et découvre la patère, le mot éclipse la chose. Mais qu’est-ce donc qu’une chose sans le mot pour la nommer ?

Et comme le dit le poète : « Il nous faut peu de mots pour exprimer l’essentiel ; il nous faut tous les mots pour le rendre réel. » (Paul Eluard, Avenir de la poésie, Paris, 1937)

Le mot, ce qu’il dévoile et les perspectives qu’il entrouve sont évidemment au cœur du travail analytique. Porter le fer contre la psychanalyse revient à contester le mot, la réalité qu’il recouvre, ainsi que son empreinte psychique.

Cette relation entre le mot et la chose me renvoie aux relations entre la psychanalyse et l’hypnose dont Freud en a souligné non les similitudes mais les différences :

« C’est qu’en réalité le plus grand contraste existe entre la technique analytique et la méthode par  suggestion, le même contraste que celui formulé par la grand Léonard de Vinci relativement aux beaux-arts : per via di porre et per via di levare. La peinture, dit-il, travaille per via di porre car elle applique une substance – des parcelles de couleur – sur une toile blanche. La sculpture, elle, procède per via di levare en enlevant à la pierre brute tout ce qui recouvre la surface de la statue  qu’elle contient. La technique par suggestion procède de même per via di porre, sans se préoccuper de l’origine, de la force, et de la signification des symptômes morbides. Au lieu de cela, elle leur applique quelque chose, la suggestion, et attend de ce procédé qu’il soit assez puissant pour entraver les manifestations pathogènes. D’autre part, la méthode analytique ne cherche ni à ajouter ni à introduire un élément nouveau, mais, au contraire, à enlever, à extirper quelque chose ; pour ce faire, elle se préoccupe de la genèse des symptômes morbides et des liens de l’idée pathogène qu’elle veut supprimer. C’est en utilisant ce mode d’investigation que la thérapie analytique a si notablement accru nos connaissances. » (Freud, La technique psychanalytique, Paris, P.U.F., 1953, p. 13)

 


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