Chaque 2 novembre, lendemain de la Toussaint, nous commémorons nos défunts. Que nos relations avec eux aient été chargées émotionnellement ou non, fluides ou conflictuelles, que peuvent avoir à nous dire nos disparus qui viennent nous visiter en rêve ?
Le sommeil et la position du dormeur évoquant le gisant favorisent certainement la production de pensées et d’images de morts. D’ailleurs, les cimetières (du grec koimêtêrion : endroit où l’on dort) sont des champs de repos éternel.
Pour Freud, personne n’a dans l’inconscient la représentation de sa propre mort : « […] au fond, personne ne croit à sa propre mort ou, ce qui revient au même, dans l’inconscient chacun est persuadé de sa propre immortalité. » (Freud, Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, 1915, p. 19)
Pour interpréter fécondement des rêves de cette nature, il s’agit de se demander non qui on a perdu mais ce qu’on a perdu.
Au titre de possibles pistes d’interprétation, les morts rêvés :
- fabriquent un possible que la pensée éveillée ne parvient pas à imaginer
- aident à lutter contre l’absence
- renvoient à notre désir d’immortalité
- savent ce qu’est la mort par leur pas d’avance sur les vivants
- délivrent des recommandations
- ressuscitent des frayeurs enfantines archaïques (abandon…) permettant, tels les contes, de circonscrire les peurs
- incarnent notre pulsion de mort caractérisée par l’agressivité
- illustrent notre culpabilité à nous sentir soulagés de la mort d’un être cher, cette culpabilité pouvant bloquer le processus de deuil qui est un processus d’adaptation à une situation nouvelle
Je conseille la lecture du passage intitulé « Les rêves carrefours de morts » du livre de Tobie Nathan, La Nouvelle Interprétation des rêves (Odile Jacob, 2013, pp. 204-212). L’auteur y écrit que « le rêve est le terrain privilégié des morts » sur lequel ils manifestent « le rétablissement d’un ordre dont ils attendent leur progression dans le monde des morts. »
C’est à mon sens une lecture très juste. Par notre peur du chagrin, par nos manifestations d’attachement alors que tout est par nature impermanent, nous pouvons ne pas autoriser nos êtres chers à mourir. Or un mort n’est vraiment mort que si on l’a autorisé à mourir. Afin de réussir leur carrière de morts, ceux-ci peuvent venir dans nos rêves chercher notre nihil obstat (droit canon. : rien ne s'oppose) .
Matthieu Ricard traduit parfaitement selon moi ce constat :
« Rester douloureusement obsédé par une situation ou par le souvenir d’un défunt au point d’en être brisé des mois ou des années durant n’est pas une preuve d’affection mais un attachement qui n’est source d’aucun bienfait ni pour les autres ni pour soi-même. Si l’on arrive à admettre que la mort fait partie de la vie, la détresse cède peu à peu la place à la compréhension et à la paix. « Ne crois pas me rendre un grand hommage si tu laisses ma mort devenir le grand événement de ta vie. Le meilleur tribut que tu puisses payer à ta mère est de continuer à mener une existence riche et heureuse. * » Telles sont les paroles qu’adressa une mère à son fils, quelques instants avant sa mort. » (Matthieu Ricard, Plaidoyer pour le bonheur, Pocket Evolution, 2004, p. 72)
*Andrew Solomon, Le démon intérieur, anatomie de la dépression, Paris, Albin Michel, 2002
