Rupture de pattern et interprétation, effets d'étonnement

En hypnose, une rupture de pattern (ang. pattern : modèle) consiste à casser un schéma mental répétitif en prenant le cerveau par surprise. Elle vise à provoquer un bug dans le cerveau. Dans le bref intervalle de blanc qui s’ouvre, l’hypnothérapeute injecte une suggestion car le cerveau ayant horreur du vide cherche toujours quelque chose à quoi se raccrocher. Les ruptures de pattern sont essentiellement kinesthésiques et/ou verbales (exemple : vous tendez votre main droite au consultant pour qu’il la serre de sa main gauche et lui tendez subitement votre main gauche puis vous saisissez ses deux mains que vous promenez en les croisant devant son visage. Dans le même instant, vous lui dites : « Etes-vous droitier ou gaucher ? Je me demande si la main droite est plus à gauche que la main gauche est à droite et en les retournant je me demande si l’intervalle entre le pouce de la main gauche et l’auriculaire de la main droite est le même qu’entre le pouce de la main droite et l’auriculaire de la main gauche. J’ai remarqué que la plupart des droitiers tombent rapidement dans un état de détente profond et que les gauchers tombent profondément dans un état de détende rapide. Et si vous êtes arrivé jusqu’à moi dans ce cabinet c’est que vous pouvez aller où vous voulez et par conséquent détenez les ressources pour atteindre vos objectifs. »)
Et si l’interprétation psychanalytique était cousine germaine de la rupture de pattern ?
Rappelons que l’interprétation de l’analyste vise à lever les résistances au cours de l’exploration psychique en jouant notamment sur le levier du transfert c’est-à-dire les situations affectives que l’analysant projette sur son thérapeute et à entendre ses désirs.
Interpréter c’est « extraire du minerai des idées fortuites le pur métal des pensées refoulées. » (Freud, La technique psychanalytique)
Guidé par l’interprétation de l’analyste, l’analysant découvre les conflits inconscients qui sont à l’origine de ses souffrances. C’est en mettant à jour ses motivations inconscientes c’est-à-dire en les éprouvant à nouveau dans ce contexte et dans sa relation à l’analyste, dans le hic et le nunc, en leur donnant un sens, que le soulagement se produit.
Des effets de sens et des effets de jouissance (joui-sens) émergent de l’interprétation raisonnée / résonnée de l’analysant et de l’analyste (il y a en effet l’interprétation de l’analysant qui s’entend parler, celle de l’analyste et même celle de l’inconscient notamment par le truchement du rêve et du lapsus, ce second ayant d’ailleurs intrinsèquement quelque chose de la rupture de pattern).
Au titre des interprétations possibles préconisées par Lacan (pour de savoureuses illustrations, Patrick Monribot, Interprétation et fin de cure, Regard clinique, Section clinique de Bordeaux de la cause freudienne, juin 2014) :
- l’allusion et la coupure qui relèvent de l’énigme et invitent au déchiffrement,
- la citation qui restitue le dit de l’analysant afin de le problématiser ou de l’essorer,
- l’équivoque qui joue sur la polysémie du langage et sa capacité à se diffracter en plusieurs sens (à un enfant qui devait copier cent fois « Je ne serai pas agressif avec mes parents » et qui précise « Et j’ai oublié… c’est la première fois que j’oublie une punition », Patrick Monribot a fait spontanément écho : « Quand c’est sans foi, c’est qu’on n’y croit plus… Alors, on oublie… »)
« C’est son propre message que l’analysant reçoit de son analyste sous une forme ou ayant fait le détour par l’entendu de l’autre, il lui revient de façon inattendue, inouïe et inversée. » (J.-P. Winter)
A chaque analyste de percevoir le kairos (du grec : le moment propice) de ne pas laisser la parole se déperdre.
Photo : Voutch, Psychologies Magazine, décembre 2013